Destruction massive. Géopolitique de la faim, de Jean Wiegler

Destruction massive. Géopolitique de la faim, de Jean Wiegler

14 novembre 2012

598 mots. Temps de lecture : 2-3 minutes

Mots clés

Appropriation de terres, Droit à l’alimentation, Biocarburants, Banque Mondiale


Review

Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation de 2000 à 2008, est connu pour ses prises de position tranchées qui agacent certains. Dans ce nouveau livre, il s’attache à démontrer que le droit à l’alimentation est, parmi les Droits de l’homme, celui qui est le plus massivement violé. Avec 1 milliard d’êtres humains souffrant en permanence de la faim et un enfant qui en meurt toutes les 5 secondes sur une planète qui regorge de richesses, la faim tient pour lui du “crime organisé”.

Même si le droit à l’alimentation figure dans la Déclaration  universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 par l’ONU, il a selon l’auteur des ennemis puissants au sein de certains Etats membres. Beaucoup de responsables aux Etats-Unis, comme au FMI et à l’OMC, par exemple, le considèrent comme une aberration.

Derrière ces organisations se fait aussi sentir l’influence de gigantesques sociétés privées qui exercent le contrôle de la production et du commerce alimentaire (semences, engrais, pesticides, stockage, transport, assurance, distribution…).

Tous ces acteurs prônent la libération aussi complète que possible du marché agricole mondial au motif d’améliorer la productivité  agricole et de faire reculer la faim. Cette approche se traduit pour Ziegler par une industrialisation intense avec pour corollaire l’élimination d’une multitude de fermes “improductives” et de l’agriculture vivrière et familiale.

En 2009, suite à la crise financière, alors que le nombre de pauvres dans le monde a augmenté de 120 millions, l’auteur note que les gouvernements des Etats industriels ont versé près de 9 000 milliards de dollars à leurs banques respectives, ce qui représente 75 ans d’APD (Aide Publique au Développement) mondiale.

L’auteur souligne aussi deux nouveaux fléaux : l’appropriation massive de terres dans les pays pauvres (“land grabbing”) par des producteurs de biocarburants et par des Etats qui manquent de terres arables, et la spéculation sur les terres arables.

Il consacre de riches développements à ces sujets, car ils sont étroitement liés à la faim dans le monde. En 2011, 100 millions d’hectares de terres agricoles ont été réquisitionnés par les pays pauvres ayant cédé aux propositions « d’investisseurs”. Cela a entraîné l’expulsion de nombreux petits propriétaires pratiquant une agriculture nourricière.

De plus, les biocarburants, souvent présentés comme une réponse à la dégradation climatique, constituent pour l’auteur une vraie imposture : non seulement leur production s’accompagne de rejets massifs de dioxyde de carbone et absorbe un volume d’eau potable considérable, mais elle aggrave la problématique de la faim dans le monde. Faire le plein d’un réservoir de voiture individuelle nécessite par exemple l’équivalent de 358 kg de maïs, ce qui permet de nourrir un enfant pendant une année en Zambie ou au Mexique.

Ziegler dénonce aussi le fait que certains pays riches commencent à acheter ou louer à grande échelle des terres agricoles dans les pays pauvres, à un prix extrêmement bas, afin de s’approvisionner en nourriture ou de réaliser une plus-value future (ils laissent alors les terres en friches en attendant une hausse des prix). L’auteur considère que la Banque Mondiale est complice de ce “vol” de terres arables en les facilitant par différents crédits.

En conclusion de ce livre, où les cris de colère sont nombreux, l’auteur appelle à un effort supplémentaire des pays riches : 80 milliards de dollars d’investissements par an pendant 15 ans permettraient pour lui de faire reculer et même disparaître la faim. Ce qui peut paraître considérable mais représente en fait une toute petite fraction des dépenses militaires mondiales.  Comme beaucoup d’autres auteurs, Ziegler conclut à un manque de volonté politique pour résoudre le problème de la faim.