L’affaire de tout le monde. Comment les grandes entreprises peuvent « réparer le monde », de Jon Miller et Lucy Parker

17 novembre 2014

Titre original : « Everybody’s business. The Unlikely Story of How Big Business Can Fix the World ».

748 mots – Temps de lecture : 3 minutes


Review

La question essentielle posée par les auteurs dans ce livre est : comment une entreprise peut-elle créer plus de valeur pour la société par son activité même (“by being a business”), et non seulement au moyen d’actions philanthropiques à la marge?

Un tel impact positif peut dériver :

-De la mission qu’elle se donne

-Des biens et services qu’elle vend

-De la façon dont elle opère (par exemple, comment elle se fournit en matières premières, organise sa production et ses transports, ou encore paie ses collaborateurs).

Les auteurs sont conscients que cette question même crée des résistances chez certains, qui voient les multinationales davantage comme une partie majeure du problème (notamment de la crise écologique) que comme une partie de la solution.

Miller et Parker reconnaissent volontiers que certaines entreprises présentées dans ce livre ont traversé leur “nuit obscure de l’âme”. Elles ont été prises pour cible en raison de pratiques contestables et ont dans un premier temps essayer d’écarter les critiques avant d’être obligées d’ajuster leur position afin d’éviter la sanction des consommateurs (comme par exemple Nike pris à la fin des années 80 dans la polémique sur les conditions de travail chez ses fournisseurs).

Mais l’intérêt principal de ce livre est qu’il évite les discussions trop abstraites en fournissant une quinzaine de cas d’entreprises qui se sont engagées à prendre leur contribution sociale et/ou environnementale beaucoup plus au sérieux que dans le passé, en la mettant au coeur de leur stratégie de croissance (A noter que pour certains, comme Peter Dauvergne et Jane Lister, auteurs de Eco Business: The Big Brand Takeover of Sustainability, le fait que la croissance reste un objectif de premier plan ne permet pas de qualifier la démarche d’authentique).

Tous les cas ne sont pas convaincants. Par exemple, le virage pris par PepsiCo vers un portefeuille de produits moins chargés en sucre et en matières grasses paraît plus dicté par l’évolution du marché que par un intérêt véritable pour la santé publique.

Par ailleurs, affirmer que ces sociétés sont en train de “réparer le monde” (fixing the world) laisse ouverte la question de savoir si l’impact positif créé par ces initiatives compense vraiment l’impact négatif de certains autres aspects de leur business.

Il reste que plusieurs initiatives intéressantes peuvent être trouvées dans le livre :

– Le partenariat de Coca-Cola avec Technoserve (une ONG qui aide les paysans de pays pauvres à acquérir des compétences de base en gestion) dont l’objectif est à la fois de garantir un approvisionnement régulier en fruits pour Coca Cola et d’accroître les revenus de ces paysans.

MTN, le leader dans la téléphonie mobile en Afrique et au Moyen-Orient, qui s’est donné comme objectif que ses services soient accessibles à tous, même les plus pauvres. Convaincus que la téléphonie mobile peut être un facteur majeur d’amélioration de la vie en Afrique (pour les paysans par exemple, elle offre une capacité de paiement et d’épargne, ainsi que des informations cruciales sur les récoltes), les dirigeants de MTN ont profondément fait évoluer leur business model initial : pas de contrats, prix évoluant avec la disponibilité du réseau, distribution informelle à travers un réseau de vendeurs de rues – ce qui s’est traduit par un succès massif (45 millions de clients au Nigéria, par exemple).

Nike, qui a nommé un Vice-Président en charge de la durabilité et de l’innovation et a commencé à systématiquement aborder le développement des produits à travers l’angle de la durabilité.   Le “Nike Material Sustainability Index” a été aussi lancé en 2012, avec l’objectif d’évaluer l’impact environnemental de tous les produits (énergie consommée, émissions toxiques, usage d’eau et de produits chimiques etc.)

Unilever, un des plus gros acheteurs mondiaux d’huile de palme, qui s’est donné pour objectif en 2012 d’être capable de s’approvisionner entièrement auprès de producteurs certifiés d’ici 2020 (plus largement, Unilever est de plus en plus reconnue, grâce à son “Sustainable Living Plan”, comme l’une des entreprises les plus engagées).

On pourrait facilement dire que ces initiatives ne vont pas assez loin et que ces entreprises servent avant tout leur propre intérêt. C’est vrai dans une certaine mesure, mais pourquoi ne pas aussi reconnaître aux entreprises ce que l’on reconnaît pour les individus : parvenir à révéler la plus belle partie de soi-même est un cheminement qui prend du temps, et il serait injuste d’insister que les intérêts présents soient mis de côté. Ces entreprises ont avant tout besoin d’être encouragées et stimulées de façon ferme mais constructive pour poursuivre leur chemin plus loin, plus vite.