Une économie pour les 99% – Rapport d’Oxfam

Une économie pour les 99% – Rapport d’Oxfam

28 mars 2017

886 mots – Temps de lecture : 4 minutes

Mots clés

Pauvreté, Oxfam


Review

Oxfam, une des ONG engagées dans la lutte contre la pauvreté au niveau mondial, est réputée pour sa rigueur. Ses rapports sont toujours très documentés et ses affirmations souvent étayées par des sources fiables. Même les personnes qui sont en désaccord avec leurs conclusions devraient donc pouvoir trouver de la valeur dans ce rapport de 38 pages où l’on retrouve la marque de fabrique d’Oxfam.

“An Economy for the 99%” aborde les inégalités actuelles et propose des moyens de résoudre ce que les auteurs qualifient explicitement de “crise”. Bien que le monde puisse être fier que des centaines de millions de personnes aient pu s’extraire de la pauvreté au cours des dernières décennies, près d’une personne sur 9 dans le monde (soit environ 900 millions) souffre encore de la faim.

La première partie de ce rapport décrit l’aggravation récente des inégalités, particulièrement celles entre les plus riches (les 1%) et le reste de la population mondiale. Dans la deuxième partie, les auteurs identifient deux moteurs principaux de cette “croissance exclusive” (au sens où elle exclut une bonne partie de la population). Aux Etats-Unis par exemple, de nouveaux travaux de l’économiste Thomas Piketty montrent que les revenus des 50% les plus modestes n’ont connu aucune croissance au cours des 30 dernières années, tandis que ceux des 1% les plus riches ont augmenté de 300%. Un écart considérable qui se retrouve aussi dans d’autres pays.

LES GRANDES ENTREPRISES ET LES “SUPER RICHES” : DEUX MOTEURS DERRIERE LES INEGALITES CROISSANTES

Les grandes entreprises ont une responsabilité dans ces inégalités croissantes, dans la mesure où elles exercent une pression croissante sur leurs employés et fournisseurs afin de maximiser les profits pour leurs actionnaires (un graphique du rapport décompose ainsi les profits d’Apple liés à l’Iphone). Les grandes entreprises sont par ailleurs devenues expertes des montages complexes permettant l’évasion fiscale.

Quant aux “super riches”, ils pourraient apporter une contribution importante à la société au travers de la fiscalité en finançant une partie des services publics au profit des plus vulnérables. Mais même le FMI admet que les systèmes fiscaux dans le monde sont devenus moins progressifs depuis le début des années 80, en raison notamment de la baisse des taux sur les tranches supérieures et de la réduction de la taxation de l’épargne. Pour les auteurs du rapport, les “super riches” utilisent leur influence et leurs connections pour s’assurer que les règles soient écrites dans leur intérêt.

SIX HYPOTHESES FAUSSES AU COEUR DE L’ECONOMIE POUR LES 1%

Dans la troisième partie, les auteurs identifient six hypothèses communément admises qui contribuent à nourrir ces inégalités. Il serait trop long ici de les commenter, mais certaines méritent d’être mentionnées car elles concernent les rôles respectifs des Etats et des entreprises privées :

  • Les marchés ont toujours raison et le rôle de gouvernements doit être minimisé.
  • Les entreprises doivent maximiser leur profits afin de maximiser les versements à leurs actionnaires.
  • La richesse individuelle extrême n’est pas en soi un problème mais un signe de succès, et la question des inégalités n’est pas vraiment pertinente.

Pour les auteurs, construire une économie humaine (pour les 99%) exige que les gouvernements soient beaucoup plus actifs, une conclusion que ne partageront pas une majorité de dirigeants d’entreprise. Même ceux qui souhaitent davantage de justice sociale considèrent souvent que c’est au monde des affaires de se réguler, sans interférence étatique excessive.

UN ROLE CENTRAL POUR LES GOUVERNEMENTS

S’en remettre avant tout aux acteurs privés serait au contraire pour les auteurs une illusion. Le rôle central revient aux gouvernements face à une crise qui nécessite beaucoup plus que des ajustements à la marge.

La 4ème partie du rapport – 8 pages au total – est dédiée à des recommandations. En voici quelques-uns parmi celles qui ont le plus d’implications pour le monde des affaires.

  • Les gouvernements doivent se mettre à l’écoute de tous, et pas seulement de la minorité riche et de ses lobbyistes. Prenant en compte les intérêts des 99%, ils doivent moins hésiter à intervenir et :
    • investir davantage dans les services publics et les infrastructures à vocation sociale.
    • établir des règles plus strictes contre les conflits d’intérêt.
    • faciliter la création de medias indépendants du pouvoir comme des puissances financières.
  • Ils doivent aussi davantage coopérer entre eux, notamment pour mettre fin à la compétition fiscale visant à attirer les plus riches. En particulier, le processus de lutte contre l’optimisation fiscale des grandes entreprises en cours au sein de l’OCDE (BEPS ou Base Erosion and Profit Shifting) devrait être plus ambitieux. Est citée aussi en exemple l’initiative prise par l’Indonésie en 2016 lors du World Economic Forum de l’ASEAN afin de promouvoir un salaire minimum à l’échelle régionale.
  • Enfin, les gouvernements doivent utiliser leur influence pour encourager les entreprises à bâtir de nouveaux modèles économiques plus orientés vers le long terme et visant davantage que la seule maximisation du profit. Ils peuvent par exemple favoriser les entreprises dites sociales (social businesses) en utilisant la réglementation des marchés publics et la fiscalité.

En conclusion, si toutes les recommandations proposées ne paraissent pas réalistes (en tout cas peu d’indications sont fournies quant à leur mise en place), il s’agit tout de même d’un rapport très stimulant. Les dirigeants d’entreprise pourront regretter que leur contribution possible soit rarement évoquée, mais ils y trouveront certainement une dose d’inspiration.