Eco-business : Quand les grandes marques s’approprient la durabilité, de Peter Dauvergne et Jane Lister (The MIT Press, 2013)

17 avril 2014

Titre Original : « Eco-Business: A Big-Brand Takeover of Sustainability »

638 mots – Temps de lecture : 3 minutes

Eco-business

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Peter Dauvergne est Professeur de Sciences Politiques et dirige le Liu Institute for Global Issues à l’Université de British Columbia, et Jane Lister est chercheuse au sein du même institut.

Les auteurs partent de l’observation que les grandes marques mondiales sont en train d’accélérer et d’amplifier leurs efforts dans le domaine de la durabilité. Beaucoup d’entre elles vont désormais bien au-delà des stratégies d’éco-efficience (essentiellement réduction des multiples gaspillages) qui étaient dominantes jusqu’à présent, et annoncent des objectifs  ambitieux (zéro déchet,  zéro émission toxique, sourcing 100% durables etc.). Certains dirigeants de ces entreprises dénoncent même désormais le retard des Etats à agir.

Pour certains, cette évolution est une très bonne nouvelle. Pour d’autres, attendre de sociétés comme Walmart, Nike, ou McDonald’s qu’elles “sauvent le monde” revient à espérer que la mafia s’engage à faire respecter l’ordre et le droit!

Les principales questions que posent les auteurs dans ce livre sont :

– pourquoi ces entreprises sont-elles en train d’accélérer?

– peuvent-elles enrayer et mettre un terme aux dégâts écologiques en cours?

Les réponses qu’ils proposent sont assez tranchées.

Il est clair pour eux que la principale raison pour laquelle les grandes sociétés s’engagent davantage est qu’elles ont compris que les stratégies d’eco-business (comme les auteurs les appellent) sont parfaitement dans leur intérêt. Elles y voient une opportunité de mieux contrôler leur chaîne d’approvisionnement (passage au crible de leurs fournisseurs), d’accélérer leurs ventes (produits et services plus attractifs auprès du public), et de renforcer l’image de leur marque.

Pour illustrer cet argument, Dauvergne et Lister citent Jeff Immelt, PDG de General Electric, qui a été à l’initiative du programme Ecomagination, que GE définit comme “un engagement à promouvoir des solutions innovatives face aux enjeux environnementaux tout en nourrissant la croissance de l’entreprise”. Dans un discours prononcé à l’université George Washington University en 2005, Immelt a declaré que GE lançait Ecomagination “non pas parce que c’était éthique ou à la mode, mais parce que cela allait dynamiser la croissance de l’entreprise”.

Cela n’est pas le problème principal aux yeux de Dauvergne et Lister : leur conviction que ces initiatives ne permettront pas de réparer ni même enrayer les dégâts écologiques les préoccupe beaucoup plus. Ils répondent ainsi de façon nettement négative à la seconde question.

Pour eux, les initiatives en cours ne représentent au mieux qu’une petite partie du chemin vers une durabilité authentique. De fait, la croissance rapide de la consommation à l’échelle mondiale annule tous les gains obtenus en matière d’éco-efficience. Il est de plus indéniable que l’objectif premier de toutes ces sociétés reste leur croissance. Ils en concluent que les stratégies de durabilité de ces entreprises visent davantage à assurer “leur propre durabilité” plutôt que celle de la planète.

Par ailleurs, si les stratégies d’eco-business représentent sans aucun doute une forme de changement positif (de nombreuses initiatives intéressantes sont présentées dans le livre), elles limitent aussi le champ de ce qui peut être mis en question – comme l’impératif de la croissance la plus rapide possible – contribuant à dépouiller la notion de durabilité de sa dimension la plus radicale. En mettant sur la touche ce que pourrait être une durabilité authentique, ces stratégies pourraient même s’avérer désastreuses.

Qu’y a-t-il à faire, donc?

Les auteurs nous invitent à être conscients que valider et encourager la voie prise actuellement par les grandes marques mondiales (comme le font beaucoup de gouvernements et d’ONG) est une voie périlleuse. Il faut, disent-ils, “garder un oeil critique envers la rhétorique et les politiques d’éco-business, rester vigilants, et modérer notre enthousiasme”.

Il s’agit d’un livre riche et bien documenté, et en même temps qui ne propose pas de voie alternative vers une durabilité authentique (et ne définit pas le rôle que les entreprises pourraient jouer). Du coup, il se pourrait que vous finissiez la lecture avec un sentiment d’avoir pris une douche froide. Il faut alors prendre ce livre comme un appel salutaire à inventer d’autres voies, qui seraient à même de ranimer l’enthousiasme…