LA TERRE EST MA DEMEURE – Autoportrait d’un artisan de paix – THICH NHAT HANH

LA TERRE EST MA DEMEURE – Autoportrait d’un artisan de paix – THICH NHAT HANH

3 Septembre 2018

857 words – Reading time : 4 minutes

Mots clés

Engagement, action, compassion, bouddhisme engagé


Je crois que ne rendrai jamais assez hommage à l’auteur de ce livre, un homme dont l’œuvre a joué un rôle décisif dans ma vie à plusieurs égards. D’abord en m’aidant à retrouver un équilibre intérieur et une véritable harmonie alors que la tempête soufflait en moi il y 20 ans.  Puis en me montrant que cette recherche d’harmonie pour soi-même pouvait être conciliée avec une action engagée pour les autres. Et notamment ceux et celles qui, autour de nous, sont en difficulté ou en souffrance.

 

Thich Nhat Hanh, maître zen vietnamien, est reconnu dans le monde entier comme un des plus éminents représentants du “bouddhisme engagé”, ce courant du bouddhisme pour lequel “parler de compassion n’est pas suffisant ; il faut agir avec compassion”.

 

Sans être bouddhiste moi-même, le “bouddhisme engagé” incarné par Thich Nhat Hanh m’a toujours profondément inspiré, et je rêvais depuis longtemps d’un livre qui retracerait ses différents engagements, notamment son action de terrain lors de la guerre du Vietnam pour venir en aide aux victimes du conflit et construire la paix. Je rêvais d’une biographie solide et authentique, mais ce livre a dépassé mes attentes en proposant un récit à la première personne, publié alors que Thich Nhat Hanh est entré dans la dernière phase de sa vie (âgé de plus de 90 ans, il a subi récemment plusieurs attaques cérébrales).

 

Ce livre est fait de courts chapitres, de 1 à 10 pages, chacun centré sur un épisode au cours duquel Thich Nhat Hanh a tiré pour lui-même un enseignement. Il partage ces différents enseignements avec son style habituel mêlant simplicité et profondeur, sens du concret et don pour la poésie.

 

Voici, à titre d’exemple, quelques-unes de ses expériences qui m’ont particulièrement touché :

 

  • Des rencontres en humanité avec des soldats français pendant la guerre d’Indochine, notamment avec un soldat venu piller les réserves de riz de son monastère. Ces rencontres sous haute tension lui ont donné l’occasion d’affirmer ses convictions : “Nous n’avions pas d’ennemis et nous ne prenions pas parti”. Il était essentiel d’exprimer la même compassion pour les victimes civiles et pour les soldats qui avaient été envoyés pour tuer. Pour lui, le “véritable ennemi est la colère, la haine et la discrimination qui se logent dans notre cœur et notre esprit” et “l’opprimé et l’oppresseur sont en chacun de nous”.

 

  • Des moments dramatiques comme la destruction d’un village vietnamien par des bombardements aussitôt après sa reconstruction, plusieurs fois consécutives. Ces moments se sont révélés pour Thich Nhat Hanh des occasions d’intensification de sa pratique de la méditation pour “nourrir le peu d’espoir qui était en lui”. Il les aborde comme des appels à retrouver “sa solidité, sa liberté, sa paix et son calme intérieur”.  Selon ses propres mots, sa pratique de la non-violence est devenue plus profonde pendant la guerre.

 

  • Une phase de dilemme au sein de la communauté monastique dans laquelle il vivait : fallait-il continuer à pratiquer dans les monastères ou quitter les salles de méditation pour aller secourir ceux qui souffraient sous les bombes? Cet épisode a mené à une décision majeure : faire les deux, c’est-à-dire “aller aider les gens et le faire en pleine conscience afin d’offrir une aide spirituelle et concrète”. Il a ainsi fondé pendant la guerre, l’Ecole de la Jeunesse pour le Service Social (EJSS), qui a formé des milliers de jeunes afin d’apporter une aide humanitaire dans les villages ravagés par la guerre. Pour Thich Hhat Hanh, la vision et l’action vont de pair. “Sinon à quoi servirait-il de voir?”, demande-t-il avec force.

 

  • Son expérience intérieure au cours de son engagement auprès de 800 réfugiés bloqués en pleine mer à proximité des côtes de Singapour, sans nourriture pendant plusieurs jours. Une nuit de crise en particulier fut l’occasion d’une pratique assidue de la méditation : “La souffrance que nous côtoyions était si terrible que si nous n’avions pas eu un réservoir de force spirituelle, nous n’aurions pas pu continuer (…) Nous avons dû respirer profondément, de tout notre être”.

 

  • Ses efforts délibérés pour une compréhension profonde des oppresseurs comme de leurs victimes. Un passage particulièrement émouvant concerne l’évocation du viol d’une fillette vietnamienne par un pirate sur un bateau de réfugiés : “En fonction de l’endroit où je suis né et des circonstances dans lesquelles j’ai grandi, j’aurais pu être cette fillette ou le pirate”. Thich Nhat Hanh s’est aussi engagé auprès d’anciens combattants américains au Vietnam, notamment l’un d’entre eux qui avait délibérément tué 5 enfants vietnamiens et vivait depuis dans la souffrance d’une culpabilité permanente. Pour lui, une grande bienveillance est nécessaire pour aider ces personnes à entrer de nouveau en contact profond avec la vie.

 

La force que dégage ce livre en fait une source d’inspiration possible pour de nombreux femmes et hommes d’action, qu’ils aient ou non une sensibilité bouddhiste. Même si la guerre et les autres événements traversés par Thich Nhat Hanh semblent loin de notre quotidien, les enseignements qu’il partage restent éminemment précieux, notamment en raison de leur résonance intérieure et des questions qu’ils font naître en nous.