Petit manuel de résistance contemporaine

Petit manuel de résistance contemporaine

10 novembre 2018

835 words – Reading time: 4 minutes

Mots clés

Environnement,  planète, révolution des regards, agir, vite, résistance


Review

Ce Petit manuel de résistance contemporaine, qui vient plusieurs années après le film Demain, prolonge l’élan donné par ce dernier mais vise aussi à lui donner plus d’ampleur. Cyril Dion commence par dresser un constat inquiétant des dégradations subies par notre planète (le premier chapitre est intitulé “C’est pire que vous ne le croyez”), et en conclut que les petits gestes quotidiens dits “écolos” ne suffisent plus. Il faut pour lui agir plus vite et avec plus d’impact pour retrouver l’équilibre dont notre planète a besoin.

Devant une menace grandissante pour la planète et pour l’humanité, qui peut à ses yeux être comparée à celle  d’une guerre mondiale,  il est nécessaire d’entrer “en résistance”. “Résistance” est un mot fort, évidemment choisi à dessein. Mais si Cyril Dion semble touché par les positions de mouvements comme Deep Green Resistance, il invite à une résistance résolument pacifiste. Tout en veillant à ce qu’elle soit puissante et décisive.

Il ne s’agit pas de prendre les armes, mais de transformer notre façon de voir le monde.

Pour cela, Cyril Dion donne une place essentielle à l’élaboration de nouveaux “récits” nous donnant envie de nous rassembler et d’agir ensemble pour donner du sens à notre existence et protéger notre planète.  Si les actions individuelles restent fondamentales, nous avons désormais besoin de la force de récits communs pour donner envie à une majorité de personnes de se mettre en mouvement et pour engager des transformations politiques d’envergure. Des récits évidemment différents de ceux que nous proposent les publicitaires de notre société de consommation.

Pour que de nouveaux récits puissent émerger et se traduire en structures politiques, il est indispensable d’agir au préalable sur les architectures qui orientent nos comportements sans que nous y prêtions attention. Cyril Dion se penche ainsi sur ce qu’il appelle, à la suite de Jean-François Noubel, les “architectures invisibles”. Un bon exemple de ces “architectures invisibles” est notre dépendance permanente à l’argent, toujours perçu comme indispensable pour s’insérer pleinement dans notre société. Une fois identifiées ces “architectures invisibles”, l’enjeu est de les faire évoluer, par exemple en  reprenant un pouvoir sur le processus législatif et en œuvrant pour une régulation démocratique d’internet, en allégeant notre dépendance au salaire et à l’argent, et  en reprenant la maîtrise de la création monétaire à travers la mise en place de monnaies complémentaires.

Il nous faut ensuite identifier quels ingrédients nous souhaitons pour ces nouveaux récits. Pour l’auteur, ceux-ci doivent faire place par exemple aux façons de construire la résilience de nos territoires (notre capacité à encaisser les chocs en gardant un minimum d’intégrité), grâce notamment à l’interconnectivité et à la diversité.

Il s’agit en fait de mener une “bataille culturelle” autant qu’une bataille politique. Les artistes sont d’ailleurs invités à y jouer un rôle essentiel.

Tout ce travail sur les “récits” peut vous sembler un peu abstrait si vous êtes un homme ou une femme d’action. Mais la force de ce livre vient du fait que Cyril Dion, co-fondateur d’un mouvement ayant pris une ampleur nationale (les Colibris), est lui-même un homme attentif à la dimension pratique de l’action.  La dernière partie du livre  – intitulée “C’est quand la révolution?” – porte ainsi sur les moyens concrets de mener cette bataille.

L’auteur y mentionne le travail de Sdrj Popovic, activiste serbe auteur de “Blueprint for the revolution” (paru en français avec le titre: “Comment renverser un dictateur”), qui semble avoir été pour lui une source importante d’inspiration. Popovic est l’un des créateurs de CANVAS, organisation qui fonctionne comme une forme de “cabinet de consultants en révolution”. Popovic passe en revue dans ce livre différents principes qui permettent de créer des mouvements citoyens non-violents susceptibles d’aboutir à des changements politiques profonds. Deux des principes que Cyril Dion retient de ce travail sont:

  • “Choisissez des batailles assez importantes pour compter, mais assez petites pour les gagner”
  • “Dans une lutte non-violente, la seule arme dont vous disposez est le nombre”

L’usage du mot “révolution” peut choquer certains lecteurs. J’avoue moi-même que c’est un mot que je n’utilise qu’avec parcimonie, notamment après avoir lu en détails l’histoire de la Terreur en France et de la Révolution de 1917 en Russie. Mais ce mot m’est aussi venu naturellement à de nombreuses reprises lors de l’écriture de mon dernier livre (Ensemble : Agir pour soi et pour les autres. Petit manuel d’engagement au quotidien), notamment dans cette phrase qui a accompagné toute l’écriture du livre: « dans un monde parfois devenu fou, notre héritage de sagesse est révolutionnaire ».

La révolution dont on parle ici est avant tout une “révolution des regards”, une transformation profonde du regard que nous portons sur notre société et le rôle que nous y jouons, portée par un récit fort, et qui finit par se traduire – sans violence – dans les institutions politiques.

La tâche peut paraître écrasante à certaines passages du livre, mais l’objectif que s’était donné Cyril Dion est à mon avis atteint : donner un élan, renforcer notre envie d’agir et de ne pas renoncer.