Réinventer les organisations. Un guide pour créer des organisations inspirées par la prochaine étape dans l’évolution du niveau de conscience, de Frédéric Laloux

11 mai 2015

1000 mots – Temps de lecture : 4 minutes

Titre original: « Reinventing Organizations. A Guide to Creating Organizations Inspired by the Next Stage of Human Consciousness ». Traduction française à paraître à l’automne 2015.

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Review

C’est certainement un des livres consacrés à l’entreprise les plus inspirants que j’ai lus au cours des dix dernières années. Considérant sa longueur (environ 400 pages) et le thème, déjà traité par une douzaine d’autres ouvrages souvent assez ennuyeux, je ne m’attendais  vraiment pas à le dévorer. Et pourtant, cela a été le cas ! Le fait que près de 30 000 personnes l’aient acheté en un an est un signe que je ne suis pas seul à l’apprécier.

L’auteur, Frédéric Laloux, un ancien consultant chez McKinsey, combine une profonde connaissance du monde des affaires avec une vraie compréhension (et expérience) du développement spirituel. C’est ce subtil équilibre qui confère à son livre une valeur exceptionnelle. L’ouvrage est constitué de trois parties, toutes utiles.

PLUS DE FORCE, D’AME, DE SENS DANS LA MANIERE DE TRAVAILLER ENSEMBLE ?

Dans la première partie (Perspective historique et évolution), l’auteur suggère que notre manière de voir le monde limite probablement la façon dont nous concevons les organisations. Dans les toutes premières pages, il pose la question suivante : « Pourrions-nous inventer une manière de travailler ensemble qui soit plus puissante, plus « nourrissante pour l’âme » (soulful), plus riche de sens ? » La suite du livre apporte une réponse positive et convaincante à cette question.

En explorant l’histoire de l’humanité et la psychologie du développement, et en se référant aux travaux de Ken Wilber (qui a écrit la préface) et Jenny Wade, l’auteur montre que, au cours de l’évolution de l’humanité par étapes, un nouveau mode de collaboration a été inventé à chaque fois qu’un nouveau niveau de conscience a été franchi.

Les modes de collaboration qui prévalent dans le monde des affaires aujourd’hui montrent leurs limites, en particulier celui fondé sur un paradigme envisageant les organisations comme des machines : cet héritage de la science réductionniste et de la période industrielle fonctionnant avec une lourde chaîne hiérarchique donne la priorité à une motivation fondée sur le couple objectifs/récompenses.

Pour l’auteur, il est grand temps de créer des organisations fondées sur un nouveau paradigme, cohérent avec le prochain stade de l’évolution de la conscience humaine, qu’il appelle « Evolutionary-Teal ».

Les organisations « Teal » sont moins dominées par les egos, et moins exposées aux nombreuses « maladies des entreprises » (batailles politiques, règles et fonctionnement bureaucratiques, réunions interminables, paralysie, rétention d’information, secret, manque d’authenticité, et pouvoir de décision excessivement concentré au sommet de la pyramide). La capacité à avoir « confiance dans l’abondance de la vie » se substitue à la peur, et des questions comme « Suis-je en vérité avec moi-même ? » ou « Suis-je au service du monde ? » sont posées ouvertement.

Cela semble irréaliste ? Frédéric Laloux apporte une bonne nouvelle : certaines organisations fonctionnent déjà selon ce mode, au moins en partie. Ses recherches sont particulièrement précieuses sous cet angle. La seconde partie (Structures, Pratiques et Culture des organisations « Teal ») est une mine d’informations sur leur fonctionnement au quotidien.

TROIS OBSERVATIONS CAPITALES

Pendant plusieurs années, Frédéric Laloux a étudié douze organisations pionnières (allant d’une entreprise américaine de distribution d’électricité avec 40 000 salariés, jusqu’à une institution de santé comptant 7 000 salariés aux Pays-Bas, en passant par une école à Berlin, ou encore un sous-traitant automobile français). Il en a tiré trois observations majeures concernant le fonctionnement de ces organisations :

  • «Self-management » : des équipes « libérées », fonctionnant avec la plus grande autonomie, sont désormais en charge de toutes les tâches qui étaient précédemment réparties entre différents départements. Les fonctions support sont réduites au strict minimum, et la plupart des décisions sont prises au niveau des équipes.
  • Intégrité et authenticité : Les collaborateurs sont encouragés à développer leur authenticité plutôt que de montrer une version limitée de leur personnalité liée à leur rôle professionnel, ce qui permet de libérer beaucoup d’énergie et de créativité.
  • Mission (« purpose ») : Les membres de l’organisation sont invités à prendre le plus grand soin de la mission que l’organisation doit remplir, et de son évolution possible au fil du temps.

Pour chacune de ces observations, Laloux présente des explications très détaillées sur les pratiques mises en places par ces entreprises (en rapport avec les processus de prise de décision, la résolution des conflits, le management de la performance, les licenciements etc.). Cela donne au livre une dimension très pratique pour les leaders qui souhaitent reproduire ces expériences.

En présentant les résultats obtenus par ces organisations, l’auteur se garde toutefois d’affirmations trop radicales, par exemple de prétendre qu’une organisation Teal connaît nécessairement la réussite. Mais il apporte de nombreux éléments indiquant que les 12 entreprises étudiées ont obtenu des résultats très solides en termes de croissance et de rentabilité.

DEUX FACTEURS FONDAMENTAUX POUR LA CREATION DES TEAL ORGANIZATIONS

La troisième partie traite de la transformation d’organisations existantes en Teal Organizations. Il y a pour l’auteur deux conditions absolument nécessaires :

  • Le fondateur ou dirigeant doit avoir une vision personnelle du monde et un chemin de développement personnel cohérent avec le niveau de développement nécessaire pour créer une Teal Organization.
  • Les propriétaires et les membres du conseil d’administration doivent comprendre et adhérer à des visions du monde cohérentes avec le paradigme « Evolutionary-Teal ».

Le niveau de conscience d’une organisation ne peut pas dépasser le niveau de conscience de ses leaders. Toute tentative de création d’une Teal Organization qui ne respecterait pas ces conditions préalables serait vouée à l’échec. Mais les leaders ne sont pas suffisants : il faut aussi veiller à mettre en place des structures et des pratiques qui modifient la répartition du pouvoir, comment les gens sont invités à se développer (authenticité), et comment la mission de l’organisation peut être servie et s’exprimer.

Suite à la lecture de Réinventer les Organisations, ma conclusion est claire : ne soyez pas rebuté par le volume de ce livre. Il pourrait bien être un des livres les plus inspirants que vous ayez jamais lus (parmi ceux consacrés au business tout du moins !)