Poor Economics : Repenser radicalement la façon de combattre la pauvreté dans le monde, de Abhijit Banerjee et Esther Duflo (Public Affairs, 2011)

Titre original : « Poor Economics: A Radical Rethinking of the Way to Fight Global Poverty »

9 décembre 2014

744 mots – Temps de lecture : 3 minutes

Mots clé : Poverty Action Lab, Micro-assurance


Review

Abhijit Banerjee et Esther Duflo, auteurs de « Poor Economics: A Radical Rethinking of the Way to Fight Global Poverty », sont tous les deux économistes, professeurs au MIT, et co-fondateurs du Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab (J-PAL), un centre de recherches au sein du département d’économie du MIT, créé en 2003.

A première vue, le sous-titre du livre paraît particulièrement ambitieux, mais il apparaît dès les premières pages que ce n’est pas une exagération.

UN NOUVEAU REGARD SUR LA VIE DES PLUS PAUVRES

Les plus pauvres sont souvent réduits dans le champ économique à un ensemble de clichés (quand ils sont présents!) mais jamais comme une source de connaissances, ou comme des gens à qui il est utile de demander ce qu’ils pensent ou ce qu’ils veulent. C’est précisément ce qui, pour les auteurs, handicape fortement la lutte contre la pauvreté. Ils prônent au contraire de prendre le temps de vraiment comprendre la vie des plus pauvres dans leur “complexité et leur richesse”, ce qui inclut les comportements en apparence “irrationnels” (par exemple, acheter en priorité une TV dès qu’ils gagnent un peu plus d’argent au lieu d’investir dans les moyens de sortir durablement de la pauvreté). Les plus pauvres ne sont pas moins rationnels que les autres : en fait, précisément parce qu’ils ont si peu, ils sont contraints d’être beaucoup plus attentifs à leurs choix. “Nous devons faire l’hypothèse qu’ils savent ce qu’ils font dès que nous identifions un comportement étrange”, affirment Duflo et Banerjee.

SE CONCENTRER SUR L’EXPERIMENTATION, LOIN DES DEBATS IDEOLOGIQUES

Ce nouveau regard féconde une autre caractéristique majeure de ce travail : le souci de se concentrer sur l’expérimentation, en se tenant à l’écart des débats idéologiques. Les auteurs refusent de prendre parti entre le camp “pro-aide” (représenté par Jeffrey Sachs), qui affirme que les pauvres sont pris dans des “pièges à pauvreté” (poverty traps) et que l’aide internationale peut leur permettre d’en sortir et ceux qui pensent (comme Dambisa Moyo et William Easterly), que cette aide est essentiellement nocive.

Ils croient au contraire à l’expérimentation dans des conditions réelles. La seule façon de répondre à des questions aussi complexes que par exemple, celle de savoir si des moustiquaires doivent ou non être distribuées gratuitement pour faire reculer la malaria – une mesure prônée par Sachs mais rejetée par Easterly et Moyo – est d’observer des groupes comparables de personnes exposées à différents niveaux de subvention, en s’inspirant des processus utilisés par l’industrie pharmaceutique pour évaluer l’impact de nouveaux médicaments (randomized control trials ou RCT). Le “Poverty Action Lab” qu’ils ont créé a déjà ainsi conduit près de 600 de ces expériences (un bon nombre d’entre elles sont présentées sur le site www.povertyactionlab.org).

UNE APPROCHE UTILISEE DANS UN GRAND NOMBRE DE DOMAINES

Les auteurs déploient leur approche dans tous les domaines où les plus pauvres rencontrent des difficultés : santé, éducation, alimentation, accès au crédit, à l’épargne, et à l’assurance (un chapitre est consacré à chaque thème).

Le domaine de la micro-assurance, par exemple, est particulièrement intéressant. Les plus pauvres vivent avec un niveau de risque extrêmement élevé, toujours sous la menace d’une catastrophe (un accident de santé fait par exemple souvent basculer toute la famille dans la misère). Parce qu’ils n’ont pas accès facilement à des contrats d’assurance, ils mettent en place des stratégies pour se protéger : réseaux informels d’aide mutuelle, diversification de leurs activités, grand nombre d’enfants. Mais cela ne les protège pas contre certains chocs, par exemple les accidents de santé.

Beaucoup d’organismes de micro-finance ont aussi essayé d’offrir des options d’assurance-santé, mais elles ont rencontré des difficultés importantes, comme de fortes réticences à une souscription obligatoire débouchant sur un phénomène de sélection adverse (seuls ceux qui ont le plus besoin de l’assurance y souscrivent). Pour les auteurs, il s’agit typiquement d’un domaine dans lequel les gouvernements devraient intervenir en payant une partie des primes pour les pauvres, non pour se substituer au marché mais pour lui donner une chance d’émerger (des expériences concluantes auraient ainsi été menées au Ghana).

L’intervention gouvernementale est loin d’être la recette universellement recommandée par les auteurs : chaque sujet est appréhendé avec une analyse détaillée qui mène à des conclusions particulières.

Ce livre est bien sûr utile aux décideurs publics, mais les décideurs en entreprise qui se sentent concernés par la lutte contre la pauvreté y trouveront aussi beaucoup de matière : il leur permet de comprendre comment certaines actions qui paraissent utiles sont sans effets (ou même novices), et comment apporter une contribution efficace selon leur domaine d’activité.