Un business responsable? Les leçons tirées des 40 ans d’expérience de Patagonia, par Yvon Chouinard et Vincent Stanley (Vuibert, 2013)

10 juin 2014

692 mots – Temps de lecture : 3 minutes

Mots clés

Common Threads, Cradle to Cradle, « Durabilité ».

 


Review

Yvon Chouinard est le fondateur de Patagonia, une entreprise souvent considérée comme une des plus innovantes en matière de durabilité.

Patagonia est en effet à l’origine de plusieurs innovations marquantes depuis les années 70. Spécialiste de produits outdoor, notamment de vêtements techniques, elle a été la première société de premier plan à faire basculer tout sa gamme de produits sportswear en coton organique, à une époque (milieu des années 90) où les fournisseurs manquaient. Parmi d’autres initiatives, le programme “Common Threads” se distingue aussi : lancé il y a quelques années, inspiré par le mouvement Cradle-to-Cradle , il a démarré comme un programme ambitieux de recyclage permettant aux clients de rapporter (ou faire réparer) leurs produits usés, et s’est étendu par la suite à un appel inédit à ne pas acheter ce dont ils n’ont pas vraiment besoin.

Chouinard et son neveu V. Stanley évitent de se poser en donneurs de leçons, affirmant qu’ils ne peuvent présenter Patagonia comme un exemple de responsabilité : “Nous ne faisons pas tout ce qu’une entreprise responsable peut faire”. Pour eux, d’ailleurs, aucune entreprise n’est véritablement responsable : il y a seulement des “entreprises responsables à des degrés divers, qui agissent stratégiquement pour réduire les débats qu’elles occasionnent tout en développant leur business, sans le sacrifier”.

Ils préfèrent ne pas utiliser le mot “durabilité”. C’est pour eux un mot respectable qui nous invite à ne pas prendre plus dans la nature que ce que nous lui apportons, mais la réalité est que les activités humaines réellement durables sont extrêmement rares à l’heure actuelle. Ce terme ne devrait être utilisé que lorsque “nous aurons appris à nous loger, nous nourrir et nous vêtir sans interférer avec la capacité de la nature à se régénérer”.

Certains pourront trouver déprimant que même une des entreprises les plus en pointe se considère encore très loin d’une durabilité authentique (par exemple, la confection d’une seule chemise en coton organique requiert environ 2700 litres d’eau – essentiellement en raison de l’irrigation -, ce qui permet de répondre aux besoins en eau de 900 personnes). Y a-t-il donc un espoir que le monde des affaires dans son ensemble y parvienne?

Ce livre nourrit effectivement un espoir car il montre que la durabilité est un chemin, qui, s’il est suivi avec persévérance, se traduit par des résultats tangibles. Même si la durabilité intégrale d’une entreprise est un idéal lointain, il reste essentiel de prendre l’initiative de réduire les dégâts qu’elle génère, ce qui permet en cours de route de trouver des initiatives de plus en plus ambitieuses.

L’histoire de Patagonia montre avec clarté ce chemin : la prise de conscience de la responsabilité sociale et environnementale a été progressive et, à mesure qu’elle s’approfondissait, de nouvelles actions étaient mises en place.

Les auteurs, au-delà de leur histoire, veulent partager trois enseignements :

– Trouver le courage de mesurer avec précision les dégâts environnementaux créés par l’activité actuelle (ils qualifient, dans leur cas, de “terribles” les résultats de la première évaluation de l’impact de leurs vêtements en coton)

– Identifier les voies prioritaires d’amélioration (en commençant par les 20% de produits qui représentent 80% des ventes)

– Partager ce que l’on apprend en cours de chemin avec le plus grand nombre de personnes, et aussi souvent que possible (ce qui incite à être de plus en plus audacieux).

Le parcours de Patagonia décrit dans le livre est assez fascinant, mais, pour les auteurs, la partie essentielle est celle qui présente les différents facettes de la responsabilité de l’entreprise envers ses “parties prenantes” (stakeholders) : actionnaires, clients, communautés locales, et nature (selon eux, cette dernière est souvent oubliée parce que le mythe que “prendre soin de la nature va à l’encontre de la performance économique” est profondément ancré en nous).

Pour chaque partie prenante, est présentée en annexe, une “checklist” de ce que les entreprises peuvent faire pour devenir plus responsables tout en consolidant leur business (ces checklists sont aussi disponibles gratuitement sur Patagonia.com).

Ce livre est donc à la fois un témoignage et un manuel, plus inspirant que beaucoup de livres sur la durabilité. Espérons que Patagonia reste une référence à suivre dans les 40 prochaines années!